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IL NEIGE SUR HOMS par Michel Rouvière

Aujourd’hui 1er Mars 2012, il neige sur les rares palmiers d’Homs, ville syrienne, perle de l’Orient. Les flocons tombent en tourbillonnant, emportés par le vent glaçant. C’est un rude hiver descendant du Nord. Depuis le plus haut du ciel, la couleur nacrée des nuages, perd notre regard. La luminosité diffuse, fatigue rapidement notre vue. Aussi bien que l’azur, si habituel ici, la blancheur silencieuse nous oblige à reposer nos yeux.

Durement, les souffles fantasques du vent s’amusent en jetant de-ci de-là les fragiles merveilles de la cristallisation des nuées. Après le ciel trop vaste et trop libre, naturellement notre tête porte vers l’habituel horizon de notre vision. Alors nous commençons à accrocher les premières lourdeurs de notre nature terrestre.

La neige, elle, continue à tomber en abondance dans une générosité sans fin. Quiconque s’attarderait sur un simple flocon tombé sur le dos de sa main, serait stupéfait par la finesse de la symétrie d’une structure arborée. Le temps d’un regard, et la métamorphose est instantané. Vous voyez une goutte d’eau. Vous sentez une froidure. Vous frissonnez de tout votre corps.

Depuis les sommets des toits des constructions humaines, nous devinons déjà une ville terrassée. Ce silence là, après le vacarme des obus rend une éloquence à nulle autre pareille. Les célestes pointes de dentelles du ciel, s’écrasent sur le gris des murs de béton non peints. Les étoiles de neige se transforment, en lourde gouttes d’eau dans les chambres ouvertes à tous vents, le lit défait. Les fenêtres béantes des étages supérieurs confirment notre première impression. Un combat a eu lieu. Il est terminé. Plus bas, les balcons bancals pendent lamentablement dans le vide. Ils en apportent la certitude ; les obus tombèrent en abondance aussi. Les murs éventrés, les appartements ouverts aux yeux des passants établissent un nouveau décor. L’air glacé pince notre respiration. Tous ces immeubles saccagés, démontrent la durée, la dureté de ces bombardements. Beaucoup sont marqués du poinçon noir d’un impact. Tout un mois de février d’une année bissextile c’est un petit peu plus long que d’habitude. Nous arrivons au raz du sol ; mille débris trop lourds jonchent la rue. Manifestement ils sont éparpillés par le souffle de la guerre. Ce sont les restes de la déchirure brève et extrêmement violente de chaque obus. Le squelette des véhicules bousculés sur leurs aires de stationnement illustre le gâchis. Les voitures individuelles, les autobus collectifs ont déjà pris les couleurs incertaines du brûlis ou de la rouille. Une mince couche de neige sur le toit leurs donnent l’aspect funèbre d’un faire-part. De leurs anciennes utilités, il ne reste que des carcasses de rebuts. Elles se posent en témoins muets. Un véhicule dans ce quartier pauvre ce n’est pas rien dans la vie d’un homme. Puis il y a toute la famille. Nous ne pourrons plus rendre visite à l’oncle resté à la campagne.

C’est exceptionnel. Tout est exceptionnel ; le temps, l’heure et l’instant.

Le mois de février fut sonore de tirs et spectaculaire de destructions. Des corps intacts, jeunes ou vieux, féminins ou masculins furent atteints. C’est le premier sang.

Maintenant, la Porte d’Omar est tombée.

Le mois de mars, celui qui annonce le printemps entre deux averses, sera atroce dans son silence apparent. Les destructions resteront comme des cicatrices flétrissantes. Les marques visibles, pérennes, resteront sous le regard quotidien des vaincus. Le vainqueur au sourire mauvais s’en délectera. Pour les corps blessés, malheur à eux. Chaque pas deviendra plus douloureux sans le soutien de l’exaltation du combat. Pour les plus jeunes, il y aura grands risques d’arrestation avec les pires tortures au fond du couloir. « On te fera regretter de n’être pas mort ! » C’est une expression qui a cours ces derniers temps.

Fallait-il que Homs se soulève ? Puis, accepter avec enthousiasme les révoltés de l’ALS. Au risque de perdre ?Au risque d’Islamisme ?

Le moment où une colère sourde et diffuse, se cristallise en guerre ouverte reste toujours un mystère. Bien sûr la raison raisonnante trouvera deux ou trois explications prêtes à satisfaire notre besoin de logique. Le « C’était prévu » des hommes qui prétendent savoir.

Après ces indignations, se posant en gestes de colères en plein jour, il y a fatalement les gouttes de sang. Elles peuvent se transformer en ruisseaux.

Cette révolte, là, est-elle justifiée ? A ce moment-ci ? Le peuple n’avait-il pas supporté des épreuves plus rudes auparavant ? Ne pouvait-il pas patienter encore un moment ? On dit que la situation tendrait vers une amélioration. Une nouvelle Constitution ne vient-elle pas d’être votée ? Là, on ne peut pas s’empêcher de sourire intérieurement. L’intérêt bien compris conseille parfois d’attendre.

Puis arrive la fameuse procrastination de la sagesse, du bon sens, avec une once de crainte aussi ; attendre, reporter pour avoir des conditions plus favorables. Regardez, le Mur de Berlin, si paradoxal au cœur d’une ville, au cœur d’un pays puissant, au cœur d’un continent de haute civilisation, dura exactement le temps impartie par la Providence ; du 13 Août 1961 au 10 Novembre 1989. Comment ne pas songer au dernier mort sur le mur d’un coup de fusil ; un jeune serveur de café en février 1989 ! Cependant, faut-il être toujours zen ?

« Comme le sage sachant que tout est vain….

N’ayant pas attisé de ses mains paresseuses

Les flammes de l’aurore et les feux du couchant,

Les soirs n’ont pas pour lui de cendres douloureuses,

Et le jour qu’il voit naître est le jour qu’il attend.

Parmi tout ce qui change et tout ce qui s’efface,

Je pourrais, comme lui, rester grave et serein,

Et, si la fleur se fane en la saison qui passe,

Penser que c’est le sort que lui veut son destin » [1]

Mais, parfois, il y a des gestes de colère magnifique qui sont inspiré inconsciemment. Signe d’une tension clinique ou manifestation divine ?

Toute ville assiégée devient un sanctuaire. Comment faire accepter tant de souffrances à toute une population sans la motivation la plus haute ? Dans ce domaine la déesse démocratie n’est pas suffisante. Il faut atteindre l’être.

Fallait-il que Nahr El Bareh tombe en 2008 ? Oui. Car nous aurions eu une banlieue nord Sunnite Islamiste particulièrement féroce contre l’Etat et le projet libanais. D’ailleurs l’initiation de ce combat commença par un égorgement de soldats dans leur sommeil. De plus on ne peut pas dire que le peuple a accueilli avec liesse ces hommes armés.

Fallait-il que la banlieue sud de Beyrouth tombe en 2006 ? Oui. Car nous y avons un projet de société théocratique modèle iranienne, antinomique au Liban. Bien qu’il y ait eu une évolution sur ce point là ; le Hezbollah 2012 n’est plus celui de 1982.

Fallait-il que Tell-Zaatar soit réduit en août 1976 ? Oui. Car les autorités palestiniennes auraient imposées leurs lois plus ou moins marxistes islamistes au Mont Liban. Le résultat aurait été un Aden d’un Yémen du Sud, en plus évolué.

Faut-il continuer par Dien Bien Phu en 1954, avec un non ?

Puis viennent tous les autres sièges engageant toujours une manière profonde de vivre ; comme les anabaptistes de Münster en juin 1535. Depuis la chute de cette forteresse de Dieu, les Anabaptistes devinrent les plus stricts non-violents des protestants ; ils refusent l’idée même des exercices de défense en temps de paix.

Restons Français, prenons le cas d’Orléans de 1429 ; fallait-il vraiment que «le sois disant Dauphin Charles » prévale sur le glorieux roi Henri V d’Angleterre ou sur l’innocence de l’enfant Henri VI son fils ?

Est-ce que je m’égare ?

Je signale que dans leur calendrier, les musulmans sont en 1434. Cela peut, peut-être, nous permettre de comprendre en partie certaines attitudes.

Les sièges du Mont Saint Michel et de Vaucouleurs auraient pu rivaliser avec celui d’Orléans. Parfois on a tendance à l’oublier. Cependant, c’est celui d’Orléans qui devait marquait le cours des évènements. La ville est bien plus importante que les deux autres points d’appui. D’Orléans nous voyons toute la France méridionale. Dans cette querelle apparemment de princes, il y eut intervention divine !

Le 8 mai1429[2] le siège fut levé grâce à l’intervention d’un Pucelle.

Le croyez-vous ? Le croyez-vous vraiment ?

«Et Jehanne la bonne Lorraine »[3]

Qu’Anglois bruslèrent à Rouen ;

Où sont-ils, Vierge souveraine ?...

Mais où sont les neiges d’antan ! »

Ensuite, cela on l’oublie trop souvent depuis la victoire de Patay sur les Anglais le 18 juin[4], jusqu’au Sacre du Roi le 17 juillet 1429 à Reims de multiple villes ouvrirent leurs portes à leur prince « naturel » venu par des voies surnaturelles. Toutefois, Paris ne succomba pas aux charmes du Sacre. La Pucelle d’Orléans, fille de Dieu, même y reçut une blessure. Quelle comparaison avec le triomphant vainqueur d’Azincourt[5] 1415, Henri V, Roi d’Angleterre, Plantagenêt de race, devant faire le siège de Meaux, d’Harfleur…et du moindre bourg de son royaume de France ! En 1422, mourant de mort naturelle dans le donjon de Vincennes il prononça comme dernier mot ; « Jérusalem ! » Unifiant dans sa personne les deux plus puissants Royaumes de la chrétienté, son but suprême était la délivrance de Jérusalem. Vous voyez, nous ne nous éloignons pas trop loin de notre sujet.

En revenant vers la Syrie, nous aussi nous avons entendu avec le Ba’th et la famille El Assad, père comme fils, le projet de libérer Jérusalem. Ils se prétendaient même être le cœur battant de l’arabisme et de la lutte palestinienne. Cependant leurs méthodes cruelles à bases de terreur et de mépris, n’ont pas su conquérir l’affection du peuple Arabe, dans sa composante Palestinienne comme Syrienne.

Mais alors revient en notre esprit, comme un ressac d’une forte vague, le terrible scepticisme ; les vainqueurs valent-ils les vaincus ? Ils sont aussi mauvais les uns que les autres. Est-ce, Etéocle se battant avec Polynice dans une lutte fratricide sous les remparts de Thèbes ?[6] Faut-il mettre sur la même étagère ; Messieurs Zine el-Abidine Ben Ali, M’ammar Al Kadhafi et tous les autres…? Nous pouvons nous réfugier dans le relativisme moral pour assommer toute espérance avec le fameux aphorisme ; « Les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent ».

Non ! Non ! Il me vient une certitude que dans ce genre de combat, justement l’un est moins mauvais que l’autre. Entre le modèle combien imparfait du Liban et celui de la Syrie Baathiste, j’ai la faiblesse de croire et de penser que cette lutte rendra l’espérance à Homs. Elle ressemblera un peu plus à Beyrouth plutôt qu’à « El Quaïda Medina ». En avez-vous la certitude ? Pourriez-vous me rétorquer. Sûrement pas, la nature humaine est si incertaine ; combien de libérateurs se mutèrent en tyran égocentrique ! Cependant j’affirme que la libanisation n’est pas un défaut, la syrianisation si. Dans un cas, chaque communauté se fait respecter dans une anarchie étatique. Il est souhaitable de remettre en marche l’administration du pays mais la base d’une société civile, urbaine, la manière de vivre demeurent. Dans l’autre cas, nous avons certes un Etat, mais quel Etat ! Celui du rouleau compresseur et du silence de l’écrasement. Quel syrien, venant travailler au Liban, n’a-t-il pas envié la façon de vivre des libanais, la manière de parler si librement ? Dans un sens nous pouvons remercier la Providence que les Maronites avec leur Milice n’ait pas pris tout le Liban afin d’imposer leur Liban. Tsahal en Palestine et les Brigades Alaouites en Syrie illustrent à ce que nous avons échappé.

Fallait-il alors que Carthage soit détruite pour être réédifiée cent ans après par le divin César ? La citadelle Massada, après les performances de la poliorcétique romaine fut prit, dans un climat d’exaltation religieuse extraordinaire. Près de neuf siècles plus tard le Sionisme édifie « L’Etat juif » en faisant jurer un serment à ses conscrits sur ce siège là. Que Vicksburg ou Atlanta se rendent en 1863 ? Vu de l’extérieur, le Sud des Etats-Unis avant 1956, différait peu, avec la Ségrégation, du Dixie de cent ans avant. Tous ces sièges sont-ils vains ? Pourtant ils portent en eux-mêmes une interrogation que n’ont pas les batailles. La lutte de deux armées en campagne a quelque chose d’une compétition athlétique. On se retrouve entre spécialistes. C’est un moment de crise terrible mais brève. Un siège demande des qualités plus profondes ; les forces s’affirment, prennent de plus en plus de poids. Les faiblesses apparaissent de plus en plus contraignantes. L’épreuve par sa durée sert de condensateur à tout un potentiel, puisant sa source dans l’anthropologie d’une société humaine. Même dans les tenues vestimentaires, on marque sa particularité. Votre organisation, mieux, votre conviction doit franchir non seulement l’épreuve de la mort mais aussi celle du temps.

N’est-ce pas le privilège des Dieux ?

Toute la population dans ses différents corps, est mise à l’épreuve du feu, de la faim, de l’inconfort. Continuellement, alternent l’espoir et l’abattement. On n’en voit pas la fin. Par dessus il y a le ciel ; changeant avec les saisons apportant pluie ou soleil. Ceux-ci pouvant s’interpréter comme un signe favorable pour l’assiégeant comme pour l’assiégé. Notre époque technique y ajoute l’aviation, les satellites d’observations, ceux qui peuvent voir une balle…de ping-pong….et les drones ! On n’en parle pas beaucoup ces derniers temps.

Toutefois devant la danse folle des flocons de neige tombant sur les débris de la Porte Omar, nous ne pouvons pas nous empêcher de songer aux jeux des passions humaines. La neige légère termine sa danse en gouttes d’eau sonores. Leurs impacts sur les tôles résonnent dans le silence. Nos questions, naturellement sont aspirées vers les divinités. A quoi jouent les Dieux dans ces guerres de Troie perpétuellement recommencées ?

[1] Sentences ; Henri de Régnier (1864-1936)
[2] Ne pas oublier le 8 mai 1945…fin de la Seconde Guerre Mondiale…à Reims
[3] François Villon (1431-1463…) Ballade des Dames du temps jadis
[4] Faut-il rappeler, toujours avec les Anglais : Waterloo ; 18 juin 1815….et l’Appel de 1940 du Général De Gaulle ?
[5] 25 octobre 1415
[6] Relire, si l’on a toujours dans sa bibliothèque «Antigone » 1944, de Jean Anouilh, avec en particulier les propos de Créon

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